Comment évaluer notre sensibilité interculturelle

Isabelle Lecurou

   Bravo! Vous avez compris que pour parfaire votre connaissance et votre ouverture à l’Autre, il vous fallait tout d’abord parfaire votre connaissance de Soi.

    Que vous viviez et travailliez en contexte d’interculturalité permanente (expatriation, impatriation), que vous soyez riche d’une identité multiculturelle (bi-nationalité, expatriation prolongée), que vos liens et vos activités vous mettent constamment en situation d’interculturalité (accueil et accompagnement d’étudiants étrangers, direction d’une équipe multiculturelle, accueil et accompagnement de réfugiés, etc) ou que vous ayez tout simplement le souci d’affiner votre posture sur ces questions, indépendamment de ce que sont vos circonstances personnelles… vous voilà sur le seuil d’une belle aventure aussi bien personnelle que collective.

      En étant au clair avec votre sensibilité interculturelle, vous pourrez faire un choix et vous pourrez le faire en toute connaissance de cause: maintenir le statu quo ou travailler à améliorer votre vision de l’Autre et votre rapport au Différent.

    Pour certains d’entre vous, quotidiennement immergés dans un contexte interculturel, ce choix aura un impact significatif et durable sur votre qualité de vie aussi bien au travail que dans les domaines plus personnels (famille, amis, etc.). Pour les autres, moins pressés par les circonstances, il sera pour le moins le manifeste d’une démarche humaniste et solidaire, plus que bienvenue de nos jours.

  Quoi qu’il en soit, c’est à chacun de vous de décider ce qu’il en est: mon rôle ici n’est que de vous procurer l’instrument de cette nouvelle conversation intérieure.

 

UN INSTRUMENT DE MESURE: L’ÉCHELLE DE BENNET

   Janet et Milton Bennett ont conçu un modèle intéressant qui permet d’analyser le développement de la sensibilité interculturelle, utile en tant que parcours de développement pour quiconque aspire à progresser sur cette question.

   Les six étapes sont réparties en deux phases fondamentalement différentes, l’une appelée «ethnocentrisme» (étapes un à trois), l’autre appelée « ethnorelativisme » (étapes quatre à six) par les Bennett. Le modèle, présenté sous forme de continuum [1], suggère une évolution et une transformation dans la relation à la différence culturelle et à la complexité de l’interaction interculturelle.

Developmental Model of Intercultural Sensitivity

PHASE ETHNOCENTRISTE

   Dans les trois premières étapes, les personnes cherchent plutôt à éviter la différence culturelle et ont des catégories très simples pour parler de culture et d’interaction interculturelle. Au fur et à mesure du développement des compétences interculturelles, l’intérêt pour la différence croît, tout comme la complexité des catégories d’observation et d’interaction.

   Mais voyons ce modèle un peu plus en détail.

  1. Le déni représente bien entendu le plus bas degré d’ouverture face aux différences culturelles. On ignore tout simplement qu’elles existent ou bien on les perçoit à un niveau très général. Cela résulte d’un isolement physique ou social en rapport avec ces différences. Une forme très répandue de déni est ce que l’on nomme « l’esprit de clocher » soit une vision du monde plus ou moins étroite, due en général à un degré limité de contact avec les différences culturelles. S’il y a contact, il y a gêne et on trouve plutôt bizarre ce qui est différent. De même, on tend à utiliser de très larges catégories pour classifier les différences : ainsi parle-t-on des coutumes des Asiatiques, sans reconnaître ni même imaginer que les cultures asiatiques diffèrent entre elles. Dans des cas extrêmes de déni, les différences culturelles sont attribuées à un statut sous-humain.
  2. Le deuxième stade – celui de Défense – représente un développement de la sensibilité par rapport au déni puisque la perception des différences est assez forte maintenant mais les autres cultures sont considérées comme menaçantes. La forme de défense la plus commune est alors celle du dénigrement des différences : on reconnaît généralement ce phénomène à l’élaboration de stéréotypes négatifs, où chaque membre d’un groupe culturellement distinct se voit doté des caractéristiques indésirables qu’on attribue à tout son groupe. Le dénigrement peut être relié à la race, au sexe (ou à quel qu’autre présumé indicateur de différence) et n’est pas dû à une quelconque ignorance mais bien à une idéologie ethnocentriste. Une autre forme du stade de Défense est bien entendu le postulat de supériorité culturelle. Plutôt que de dénigrer une culture, on présume simplement que sa propre culture est l’apogée de quelque projet évolutionnaire (ce qui assigne automatiquement à ce qui est différent un statut inferieur). Mais à ce stade, le sentiment d’insécurité face aux différences est très grand puisqu’on entrevoit – sans toutefois l’accepter – la possibilité que notre culture ne soit pas la seule vision du monde possible.

    Il y a dans ce deuxième stade un phénomène très connu – nommé Reversal (Revirement) par les Bennett – et qui fait qu’une personne va considérer une autre culture comme supérieure à la sienne propre: hiérarchisation des cultures encore et sur la base de stéréotypes toujours.

  3. Dans le troisième stade – celui de Minimisation –, on présuppose que toute l’humanité est régie par des principes communs de base qui guident les valeurs et les comportements. Aussi les gens qui adoptent ce point de vue abordent-ils généralement les situations interculturelles avec l’assurance qu’une simple conscience des schémas fondamentaux d’interaction humaine leur suffira pour assurer le succès de la communication. Un tel point de vue est ethnocentrique parce qu’il présuppose que les catégories fondamentales de comportement sont absolues et que ces catégories sont justement les nôtres! Dans ce contexte, les différences culturelles sont finalement considérées comme des variations superficielles sur un thème commun à toutes les cultures. Elles sont donc reconnues et tolérées mais en réalité il n’y a pas véritablement compréhension interculturelle, comme le prétendent les gens qui traversent ce stade, puisque la connaissance de l’Autre s’arrête en réalité à la partie visible de l’iceberg [2], présupposant que la partie invisible est la même pour tous, les valeurs essentielles étant universelles.

Entre ce stade et le suivant se fait toutefois un embrayage qui change radicalement l’attitude des gens face aux différences. Ce passage est marqué par une nouvelle manière de voir les cultures comme étant fluides et dynamiques plutôt que rigides et statiques.

PHASE ETHNORELATIVISTE

  1. Le quatrième stade – premier stade de la perception ethnorelativiste des autres cultures – est celui de l’Acceptation. Il est possible à ce stade de concevoir d’autres cadres de références culturels que le nôtre bien qu’on ne les comprenne pas toujours dans toute leur complexité. Les gens qui sont au stade de l’Acceptation cherchent à explorer les différences et ne les perçoivent plus comme menaçantes. Ils acceptent le fait que des gens puissent avoir des cadres de références culturels différents des leurs, se réjouissent de ce fait et sont avides de s’informer sur les autres cultures. Le stade de l’Acceptation souligne une ouverture dans sa vision des différences. Le mot-clé de ce stade est Connaître ou Apprendre.
  2. Le cinquième stade – ou Adaptation – consiste à accepter les différences culturelles comme non-figées et permet de la sorte d’y adapter son comportement et sa pensée. La forme la plus commune d’adaptation est l’empathie – soit un changement temporaire de cadre de référence où l’on perçoit des situations comme si l’on était l’autre personne. Généralement, l’empathie est partielle, s’étendant seulement aux domaines pertinents à la situation de communication. Les gens qui traversent ce stade comprennent le cadre de référence de l’autre culture et sont capables d’agir en conséquence. Ils deviennent des pluralistes culturels, capables de fonctionner dans plus d’un cadre de référence culturel. Ils sont devenus capables de faire spontanément le décodage des normes et valeurs qui expliquent un comportement dans sa logique culturelle. Cette habileté d’agir hors de son propre cadre culturel est au coeur de la communication interculturelle. Ce stade traduit un sentiment de sécurité face à sa culture d’origine : on peut s’adapter sans se sentir menacé. Le mot-clé de ce stade est Comprendre.
  3. Enfin l’Intégration est le dernier stade d’ouverture face aux différences culturelles. C’est le sens qui sous-tend la description qu’Adler [1977] fait de la personne multiculturelle. Cette personne, nous dit-il,

«n’est pas simplement la personne sensible à plusieurs cultures différentes. C’est plutôt la personne qui est constamment en train de devenir une partie de et qui se sent en même temps en dehors d’un contexte culturel donné ».

   Cette sensibilité ne se développe qu’après des séjours prolongés dans plusieurs endroits où l’on est mis en contact avec d’importantes différences culturelles : on peut alors percevoir celles-ci en tant que processus, s’y adapter et en plus, définir sa culture de plusieurs façons différentes. Une aptitude de la sensibilité interculturelle liée à ce stade est l’habileté d’évaluer un phénomène en regard d’un contexte culturel donné. Cette aptitude, appelée évaluation contextuelle permet de reconsidérer les jugements qu’on avait suspendus au stade de l’acceptation sans toutefois tomber dans l’ethnocentrisme :

« l’individu intègre plusieurs cadres de références dans sa propre manière d’être. Son système de valeurs est extrait de ces différents cadres culturels, mais il n’en adopte aucun tout entier ».

   À ce point culminant de la sensibilité interculturelle qu’est le stade de l’intégration, une personne vit les différences culturelles comme un aspect essentiel et réjouissant de la vie. Porteuse d’un cadre éthique personnel fort et d’une identité personnelle solide [3], elle s’avère être par exemple un excellent médiateur en situation de malentendu ou de conflit interculturel, grâce à sa capacité à s’adapter tout à fait à chacune des parties en présence sans pour autant s’identifier complètement à aucune.

POUR ALLER PLUS LOIN

  • Alors où en êtes-vous?
  • Êtes-vous satisfait de votre position sur l’échelle des Bennet?
  • Ètes-vous au contraire surpris?
  • Comment se traduit concrètement votre position actuelle dans vos actions et comportements?
  • Et jusqu’où désirez-vous arrivez?
  • Dans quel but? 
  • Qui serez-vous lorsque vous aurez atteint la position qui vous intéresse? Que ferez-vous? Que ne ferez-vous plus?
  • Qu’avez-vous appris sur vous-même? Qu’avez-vous découvert de vos relations à l’Autre?
  • Et, finalement, quels engagements allez-vous prendre vis-à-vis de cette question?

    Voilà pour le modèle proposé par les Bennett. Je vous proposerai dans les mois à venir d’autres outils tout aussi utiles pour approfondir cette question de manière méticuleuse et réjouissante et poursuivre de la sorte la “démarche de vigilance et de curiosité” [4] à laquelle vous invite le développement de votre Intelligence Interculturelle.

____________

[1] Cela ne signifie pas que la progression d’étape en étape se fait de manière continue. Il y a au contraire des pauses fréquentes voire des retours en arrière.

[2] Pour une explication de l’Iceberg Culturel, voir mon article Comment transformer les enjeux de l’interculturalité en opportunités de croissance personnelle

[3] L’identité Personnelle a tendance à chanceler après une très longue période d’expatriation et il est toujours intéressant  d’en travailler les fondements avec un coach afin de renouer avec un alignement intérieur harmonieux. Cela prend peu de temps, est plutôt agréable puisque c’est un temps pour soi où l’on apprend à mieux se connaître et cela permet précisément d’accueillir avec sérénité et enthousiasme la dimension fondamentalement interculturelle qui la caractérise désormais.

[4] Michel Sauquet et Martin Vielajus, L’intelligence interculturelle. 15 thèmes à explorer pour travailler au contact d’autres cultures, Paris, Editions Charles Lëopold Mayer, 2014, p. 27.

 

isabellelecurou

isabellelecurou

Te doy la bienvenida a este espacio 100% dedicado a tu realización personal y profesional. Desde el enfoque del Life & Performance Coaching, ayudo a emprendedores, pequeños empresarios y profesionales de alto impacto (ciencias, arte, docencia e investigación, tecnología, comunicación) a diseñar e implementar el Estilo de Vida (Lifestyle) y de Trabajo (Workstyle) que les permita alcanzar sus metas y hacer realidad sus aspiraciones y ambiciones disfrutando del proceso y haciéndolo parte de su crecimiento y realización plena. Isabelle Lecurou - Ph-D. Coach Profesional Certificada Life & Performance Coaching - Español/Français

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